《Voici un etrange monstre》 a dit Corneille de L’Illusion comique dont la structure dramatique est vraiment extraordinaire. Elle nous surprend en effet, par la complexite de l’espace, du temps, de l’action et du caractere des personnages. Cette complexite semble contredire les regles esthetiques classiques, qui dirigent le theatre de France tout au long du XVIIe siecle qui adore l’art dramatique.
Cette 《piece capricieuse》 d’apres Corneille, appartient au genre theatral a la mode, le theatre dans le theatre dont La Comedie des comediens de Gougenot ou celle de Scudery sont exemplaires. La forme complexe de la piece se lie a l’espace multicouche, au cours du temps non-lineaire, au deroulement deconcertant de l’action. Cette piece comprend en elle-meme plusieurs pieces enchassees qui sont en effet des illusions produites par le magicien. Le magicien pratique son art pour aider le pere eplore qui cherche son fils disparu depuis dix ans. Le pere et le magicien restent sur la scene de la piece-cadre et observent la vie du fils, telle quelle est presentee par le magicien. Le pere devient spectateur pour le spectacle dont le magicien est le metteur en scene. Les vrais spectateurs qui regardent la piece entiere(ceux du theatre du Marais a Paris en 1635, par exemple) seront sur le meme plan d’observateur que le pere en regardant les aventures du fils dans les pieces inserees bien qu’ils apercoivent parfois que le pere est egalement un des personnages qu’ils observent.
Deux pieces sont enchassees; la premiere represente des evenements du passe du fils qui se sont ecoules pendant quatre jours a Bordeaux, et la deuxieme, ce que fait ce fils 《aujourd’hui》, soit deux ans apres la fin de la premiere, a Paris. Le lieu de la deuxieme est plus complique d’autant qu’une piece du theatre y est encore inseree. Le ms, devenu comedien, joue un role qui lui ressemble. Le pere et les spectateurs s’y trompent et se detrompent a la fm. Ils tombent a la merci de l’illusion et du magicien.
Les annees 30 du XVIIe siecle, le theatre baroque bat son plein. J. Rousset a bien montre que ce theatre avait tendance a s’interroger sur lui-meme, a tout placer sous la forme de l’illusion et de la metamorphose et que le spectacle etait devenu spectacle soi-meme. On retrouve tout cela dans L’IUusion comique. En plus les caracteres de l’oeuvre baroque qu’il enumere se retrouvent egalement dans cette piece: l’instabilite, la mobilite, la metamorphose, II illusion et le trompe-l’oeil, etc.
Introduisant les elements baroques, le dramaturge craint que sa piece ne transgresse les regles classiques. Il essaie de glorifier le thea tre meme et le metier du comedien dans son apologie du theatre qu’il a ajoute a la fin de piece. Il ne semble pas avoir conscience de la valeur de la nouvelle esthetique que son oeuvre propose. Pourtant ce “monstre” nous permet de comprendre l’art du theatre meme. Il nous apprend, en outre, une flexibilite de la pensee, une vision multicentrique et une possibilite sans limites de l’imagination.